Cela fait un bon bout de temps déjà que j'interpelle des élus de tous bords pour attirer leur attention sur un point essentiel de la vie de la cité : l'éducation des jeunes. Il se trouve que la quasi-totalité des ces élus sont des maires ; c'est dire si, de mon point de vue, l'enseignement primaire constitue/devrait constituer l'axe majeur d'une politique éducative cohérente.
Le premier courrier, qui ne figure pas ici (à la suite d'un accès, stupide, d'énervement, il a fini dans une corbeille à papier !), date de 1994. J'habite à Villiers-le-Bel (95) depuis quelques années déjà (1987). J'ai une assez longue pratique du soutien scolaire et de la remise à niveau, pratique commencée alors que j'étais encore étudiant en Allemagne puis à Strasbourg.
Nous sommes au mois d'avril 1994, peu avant les vacances de Pâques. J'adresse dix courriers exactement aux directeurs de dix écoles communales dont j'avais relevé l'adresse dans l'annuaire du téléphone. Compte tenu de ce que nous savons tous, à savoir qu'au tournant des vacances de Pâques, pour beaucoup d'élèves, les carottes sont souvent cuites en matière de passage dans la classe supérieure ou de redoublement, j'invite mes correspondants à prévenir toutes les familles intéressées par la perspective de cours de remise à niveau, organisés durant les grandes vacances estivales, ces cours étant gratuits car assurés par des bénévoles, et en principe dans les salles des écoles communales que j'envisageais d'emprunter à la municipalité.
Quelques semaines plus tard, je reçois un courrier de la mairie de Villiers-le-Bel, m'invitant à un entretien avec l'adjoint au maire chargé de la jeunesse et des affaires scolaires. Et voilà que ce brave élu sort de son tiroir un des courriers que j'avais adressé naguère aux directeurs d'école, tout en m'annonçant avoir eu droit à une volée de protestations desdits directeurs d'école.
Je tombe des nues, en apprenant que ces braves gens avaient été outrés d'apprendre que quelqu'un prétendait réussir là où eux avaient échoué. Je dois préciser que, dans mon courrier, j'avais clairement annoncé la couleur, à savoir que fort de mon expérience de la remise à niveau, j'estimais que deux mois de congés devraient permettre de rattraper n'importe quel élève du CP au CM2, en lui évitant le redoublement (en bon français : le redoublement consigné sur un bulletin à la fin du mois de juin devrait pouvoir être remis en cause à la rentrée de septembre, les élèves concernés étant, tous, parfaitement aptes à passer dans la classe supérieure.).
"Mais comment peut-il prétendre réussir en deux mois ce que nous n'aurions pas obtenu en toute une année scolaire ?", avaient protesté nos directeurs d'école dans leur courrier adressé au (à Mme le) maire de Villiers-le-Bel.
L'adjoint chargé des affaires scolaires m'avait donc convié dans son bureau pour m'expliquer que..., "vous comprenez, bon, enfin, c'est-à-dire...". Bref, il me renvoyait vers les directeurs protestataires pour que je m'entende avec eux. Je lui ai juste fait observer que les écoles dites communales étaient sous la responsabilité des municipalités et que, pour l'heure, je n'avais encore adressé aucune demande à la municipalité ; j'aurais donc préféré qu'il attendît d'avoir ma requête pour y répondre, au lieu de se laisser influencer par un petit lobby de directeurs d'école dont je ne comprenais pas bien les motivations !
Voilà comment une opération de remise à niveau auprès d'élèves en difficulté scolaire n'a pas été possible à Villiers-le-Bel, en 1994, une ville que j'ai quittée en 1997 et devenue "cité sensible" depuis. Il paraît même qu'il s'y est déroulé une kyrielle d'échauffourées, il y a trois ans... J'ai même pu constater, de visu, que la bibliothèque municipale que j'avais sous mes fenêtres avait flambé et avait dû être reconstruite. Sur ce que je peux en voir dans les reportages télévisés, il est à peu près certain que la plupart des sauvageons ayant mal à partir avec les policiers de la BAC, aujourd'hui, soit n'étaient pas nés en 1994, soit étaient encore en culottes courtes à l'époque. Et, de l'avis général, Villiers-le-Bel serait en train de devenir un ghetto...
"Quand vous êtes blanc, vous êtes en minorité... Il y a du racisme anti-blanc... Leurs parents se sont battus pour être Français... Eux, ils ont 17/18 ans et ils ne veulent pas s'intégrer...". Richard, ancien habitant de Villiers-le-Bel, témoignant sur RMC lors de l'émission Les Grandes Gueules (06.07.2010).
En ce qui me concerne, j'aurais bien essayé !
Éradiquer l'échec scolaire dans les petites classes, soit dès la maternelle, voilà une des clés du problème des jeunes vivant dans des cités ouvrières (parce que les problèmes ne se posent pas qu'en banlieue, comme le prouvent les bandes "ethniques" sévissant notamment dans les 13ème, 14ème ou 19ème arrondissements de Paris ; je pense à ce gamin agressé en plein jour et laissé pour mort près d'un abribus du quartier Tolbiac).
Éradiquer l'échec scolaire dans les petites classes, soit dès la maternelle est quelque chose qui incombe, ou qui, dans un système politique décentralisé, aurait dû incomber au premier chef, aux municipalités. Le problème est que tout ce qui y est fait, notamment par le biais des associations (d'aide aux devoirs !), relève du bricolage, la médiocrité s'ajoutant à la médiocrité.
Et comme je suis du genre "teigneux", j'ai récidivé ailleurs, en reprenant les bonnes habitudes épistolaires. Un certain nombre de courriers me sont parvenus, de la part d'élus de tous bords, qui attesteront du fait que je m'intéresse à certaines questions depuis longtemps déjà !
Tiens, au fait, le dernier rapport PISA est tombé, et il n'est pas très favorable au système scolaire français, mais ça, on le savait.
Curieusement, pas un mot du côté des enseignants ; il faut dire que ledit rapport révèle que la proportion des bons élèves augmente en France plus vite qu'ailleurs dans l'OCDE. Il se trouve simplement que les profs représentent 5 % de la population active, mais que leurs enfants représentent 40 % des effectifs des grandes écoles, facultés de droit ou de médecine, etc. Ceci doit certainement expliquer cela !
S'ils ne sont pas très efficaces en matière d'égalité des chances pour tous, à l'école, les enseignants sont fichtrement efficaces comme parents d'élèves ! Pourquoi, se demandait le sociologue François Dubet, spécialiste de l'éducation, les bénéficiaires d'un système n'essaieraient-ils donc pas de le sauvegarder ?
Observons, en passant, qu'à la suite des courriers que je produis ici, aucune proposition concrète ne m'a été faite, qui aurait conduit à la réalisation, dans la ville en question, d'un programme efficace de lutte contre l'échec scolaire. Mais, par ailleurs, je note que nombre de mes correspondants des années 1997 à 2007 ne sont plus aux affaires ; pour la plupart d'entre eux, les élections municipales sont passées par-là ! Ceux-là auraient dû se livrer à un calcul simple : 6 + 6 + 6 = 18. Autrement dit, six ans en CP + deux mandats de maire, ça fait 18 ans, l'âge légal pour aller voter !
Lutter contre l'échec scolaire constitue, donc, un réel investissement sur le plan politique, les bambins d'hier ayant vocation à devenir les électeurs de demain.
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