Les dindons de la farce |
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Dindons de la farce ou les mille et un visages (= les marqueurs) du sous-développement durable ! France Inter, Dimanche 13 mars 2011, émission Interception. Ce matin, mon lexique s'est enrichi d'un nouveau vocable : madgerman. On les appelle les "madgermans", comme "Made in Germany". Travailleurs émigrés partis de la (pas) très socialiste république du Mozambique, pour la communiste D.D.R. pour y recevoir une formation professionnelle, je suppose dans le cadre des programmes d'amitié entre les peuples chers aux régimes communistes. Une partie de leur salaire était envoyée au pays pour leur être reversée à leur retour, mais plus de vingt ans après, le gouvernement ne leur a toujours pas reversé leur dû. L'un d'eux raconte : "Parti du Mozambique le 5 octobre 1985, arrivé en Allemagne le lendemain. Aéroport de Schönefeld. On était dans l'avion et on a vu tomber cette chose : la neige. En sortant de l'avion, nous essayions de nous protéger la tête, au cas où, mais le contact de la neige ne nous causait aucun dommage..." "On était recruté pour un programme de formation de jeunes Mozambicains. Ceux qui étaient intégrés dans la production étaient engagés comme travailleurs salariés pour une durée de quatre ans, renouvelable. 25 % des salaires étaient censés être adressés à la Banque populaire du Mozambique. Par la suite, les transferts sont passés à 60 %. Mais on s'est aperçu plus tard que le compte n'existait pas. L'argent est bien arrivé au Mozambique ; nous avons des numéros de comptes. Seuls des jeunes de niveau CM2 pouvaient participer au programme. Le gouvernement a dû penser qu'il pouvait spolier sans risque des gens aussi peu éduqués." Au retour de RDA, les documents justificatifs qui étaient dans les valises ont été confisqués par les autorités dès le débarquement à l'aéroport, exceptés ceux que les intéressés avaient réussi à dissimuler sur eux, dans les habits, les chaussettes. Depuis, les Madgermans vivent dans la pauvreté, avec moins d'un dollar par jour. Nelson garde un bon souvenir du pays socialiste qu'était la RDA. Il n'y a pas connu de problème de racisme. "Tout ce que faisaient les Allemands, on pouvait le faire. Il n'y avait pas d'inégalités. Un chef pouvait venir à l'usine s'occuper des machines comme l'aurait fait un ouvrier. Il était rare de voir quelqu'un vivre dans la rue. Il était impossible de voir à l'oeil nu qui était pauvre et qui n'avait pas à manger. En Allemagne, on avait la belle vie par rapport à ce que nous connaissions au Mozambique. On avait assez d'argent pour s'acheter des motos et pour aider la famille. Les médicaments étaient remboursés." Autre son de cloche : La pression politique était très forte. Beaucoup de gens surveillaient et écoutaient les conversations. Il y avait beaucoup de gens qui disparaissaient. On ne pouvait pas accéder aux pays occidentaux ; on nous prenait nos passeports à l'arrivée. Il nous était difficile de comparer le modèle communiste avec les autres modèles. Mais pour nous, la RDA était au-dessus du modèle mozambicain. La fin du communisme fut aussi un grand souvenir : la chute du mur, le spectacle de Pink Floyd, nous avons vécu tout ça. De retour au pays, les Madgermans sont confrontés à la guerre civile qui oppose les socialistes du Frelimo à leurs adversaires de la Renamo, soutenus par le régime d'apartheid sudafricain. Un témoin se souvient d'avoir fait un voyage entre Maputo et son village natal, à cinq cents kilomètres de là ; cela lui a pris plus d'une semaine, à raison d'une cinquantaine de kilomètres par jour, tant les conditions de déplacement étaient difficiles. Zefrimo se souvient de son passage à Rostock, formé comme technicien du port. "Mes documents n'étaient pas tous ensemble ; j'en avais une partie sur moi. J'avais fait transférer 36.000 marks dont je n'ai même pas récupéré 2000.". Au pays, il ne trouve pas de travail. "Ce qu'on faisait en Allemagne (ex. le travail dans une usine d'automobiles) n'existe pas ici. De plus, les employeurs se méfient des Madgermans, ces "fous qui manifestent. Le textile, au Mozambique, ça existe. Mais les anciens ouvriers du textile en Allemagne ne trouvent pas de travail non plus." En Allemagne, les Madgermans ont appris une culture du travail. "Ici, c'est le chef qui arrivera le plus tard, alors qu'il devrait être le premier arrivé. Les gens qui ne sont jamais sortis de ce pays arrivent toujours en retard. Nous, on a appris à respecter le travail, à arriver à l'heure." Mortalité. Maladies. Pas de médicaments. Tribunaux sous contrôle du pouvoir. "Le gouvernement nous vole. Nous luttons contre l'Etat et l'Etat gouverne comme un tyran." José Alfredo : "Tous les mercredis, on sort dans la rue. On chante. Les gouvernements (étrangers) ne bougent pas. Le gouvernement allemand ne dit rien, l'Europe non plus, alors que des millions d'aide internationale sont versés chaque année au Mozambique. Vingt ans que nous utilisons des moyens pacifiques." Béatrice était arrivée en 1985 dans une usine d'explosifs de Magdeburg. Ses anciens collègues vietnamiens, cubains... vivent bien. Pour elle, le Frelimo est un parti de voleurs. La mort de (Samora) Machel a tout bouleversé. Lui était un homme de bien. Ils ont déjà tué certains de nos collègues. Ce parti ne vaut plus rien. Il faut le chasser du pouvoir. En septembre 2010, il y a eu des morts lors d'émeutes. Il reste en Allemagne autour de quatre cents enfants issus d'unions mixtes entre Madgermans et femmes allemandes. Des contacts sont maintenus, mais le nombre d'enfants venant visiter leur père au Mozambique décroît sans cesse. "Tous les enfants qui viennent ici pleurent. Ils sont émus." Les Madgermans cherchent leurs Marks. Reportage de Gaelle Laleix. France Inter, Interception, Dimanche 13 mars 2011. |
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